Les grands graveurs

Les dessins inédits de Jean-Baptiste Daniel-Dupuis

(1843-1899)

Lorsqu’on observe une monnaie, on ne réalise pas toujours le travail exigé par une telle réalisation. Les dessins inédits de Jean-Baptiste Daniel-Dupuis nous font prendre conscience de l’importance des détails et de la passion des graveurs pour leur métier.

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire de la pièce de 10 centimes 1896, N°A-07. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Jean-Baptiste Daniel-Dupuis, est né dans la ville de Blois le 15 février 1849. Fils d’un artiste peintre, il baignera dans le milieu artistique dès son plus jeune âge, et c’est encore adolescent qu’il embrassera lui aussi la carrière des arts. Il n’avait que 16 ans, lorsqu’il fut admis à la prestigieuse école des beaux-arts. Il ne lui faudra pas plus de trois ans pour décrocher le second prix de Rome, qui récompensait la gravure en médailles.

Jean-Baptiste n’était ni un artiste égocentrique ni un homme avare de ses connaissances. Il souhaitait transmettre ce qu’il avait appris et faire partager les techniques qu’il avait mises au point. À 20 ans à peine, il préparera, et réussira, le concours qui fera officiellement de lui un professeur de dessin des écoles municipales de Paris.

Daniel Dupuis. Biscuit de l'avers de la médaille de l'exposition universelle de Paris 1889. (Collection privée | Photo F.Neuwald)

Une carrière fulgurante

Après la guerre, en 1871, Jean-Baptiste Daniel-Dupuis peut être considéré comme un sculpteur confirmé et, l’année suivante, en 1872, il remporte le premier Grand Prix de Rome pour la gravure en médailles.

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire de la pièce de 10 centimes 1896, N°A-01. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Pendant son séjour à Rome, dans la célèbre villa Médicis (foyer d’artistes reconnu à travers le monde), il exécutera des dizaines de sculptures, de dessins et de médailles, en particulier des portraits de ses amis, ou d’autres artistes en pension à la villa.

De retour à Paris, en 1876, il exposera ses œuvres au salon annuel organisé par le Ministère de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts (Direction des Beaux-Arts) au Palais des Champs-Élysées, à Paris. Artiste complet et talentueux, il n’hésitera pas à concourir dans quatre catégories : la gravure en médailles (où il présentera les médaillons fondus exécutés à Rome), la sculpture (l’une des plus connues est sans doute “Le départ pour Cythère”, aujourd’hui exposée au musée d’art et d’histoire de Saint-Pol), la peinture et le dessin. Amoureux des mythes gréco-romains, et très inspiré par la renaissance italienne, l’œuvre de Jean-Baptiste Daniel-Dupuis est tout entière marquée par un cachet antique, voire purement hellénistique très visible sur les dessins illustrant cet article (étude des drapés, position des corps, expressions et traits des visages).

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire de la pièce de 10 centimes 1896, N°A-19. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Tout au long de sa vie, le graveur accumulera les honneurs. En 1879, il décroche les premiers prix aux concours ouverts par la Ville de Paris pour la médaille de la République Française. En 1883, celui du concours international pour la médaille de l’exposition universelle d’Amsterdam, de même que ceux de la Société des Artistes Français (la médaille du salon) et celui de la médaille commémorative de l’exposition universelle de paris de 1889.

Mais le concours pour lequel je considère — et cet avis n’engage que moi — qu’il a exécuté l’une de ses plus belles médailles est celui-la médaille de l’expédition du Talisman… Il s’agissait d’une expédition scientifique menée dans l’océan Atlantique sous les auspices des ministres de la Marine et de l’Instruction publique au cours des années 1880. Les collections de poissons et d’invertébrés réunis durant cette recherche sont d’ailleurs toujours exposées dans l’une des salles du Muséum National d'Histoire Naturelle. Pour commémorer ce qui était, pour l’époque, une incroyable prouesse scientifique et technique, Jean-Baptiste Daniel-Dupuis a, une fois de plus, puisé son inspiration dans les mythes antiques et a donné naissance à la superbe allégorie : Amphitrite entraînant la Science au fond de la mer.

Daniel Dupuis. La Numismatique, médaille du congrès international de numismatique, juin 1900. (Collection privée | Photo F.Neuwald)

Souhaiterait-on citer la liste des œuvres de Jean-Baptiste Daniel-Dupuis que ce serait impossible. Peu d’artistes ont été aussi prolifiques et moins nombreux encore ont été de tels bourreaux de travail. Outre ses médailles, ses plaquettes, ses dessins et ses statues, Jean-Baptiste Daniel-Dupuis a aussi sculpté des bustes et des médaillons en marbre, des bas-reliefs pour l’Hôtel de Ville de Paris, le fronton du théâtre de Morlaix et bien d’autres choses.

Daniel Dupuis. Épreuve du revers de la pièce de 10 centimes 1896 (électrotype). (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Un nouveau souffle pour la monnaie

Mais l’artiste, s’il est bien connu des numismates pour la beauté de ses médailles, est aussi (et surtout) passé à la postérité par grâce à un objet d’art que tous ses compatriotes contemporains ont admiré des dizaines de fois au creux de leur paume : ses monnaies.

En 1895, sur les conseils — plus qu’insistants — de Roger Marx, célèbre historien, critique d’art et haut fonctionnaire à l’administration des Beaux-Arts à Paris, le ministre des Finances Paul Doumer, graveur lui-même, fit appel à trois artistes (Chaplain, Roty et Daniel-Dupuis) pour créer les types des monnaies d'or, argent et bronze sans contrainte spécifique, leur laissant toute liberté de choix concernant le sujet.

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire de la pièce de 10 centimes 1896, N°B-31. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

« Le seul élément commun fut le bonnet phrygien. » Précisent les communiqués du Cabinet des Médailles traitant de l’histoire du franc. « Chaplain et Daniel-Dupuis proposaient un buste féminin moderne, resté très sévère chez le premier. Roty présenta la première République en pied, la semeuse. Les trois font passer la représentation du symbole de l'idéal, le mythe à plus de réalité, de naturalisme : la divinité laissait la place à la féminité, notamment celle de Daniel-Dupuis, douce et souriante. Le rayonnement de la France républicaine ne se représente plus par une étoile, mais par une jeune femme semant au vent le bon grain sur un fond irradié par le soleil. (…) le revers des bronzes de Daniel-Dupuis est plus complexe : la République casquée tenant le drapeau national d'une main et le rameau d'olivier de l'autre figure la France vaincue par l'Allemagne en 1870-1871, prête à la guerre mais aspirant à la paix ; sous sa protection, l'enfant tient d'une part un épi de blé, de l'autre un maillet pour signifier que les Français peuvent travailler, prospérer et faire prospérer l'agriculture et l'industrie nationales à l'abri du régime républicain. (…) Le type de Daniel-Dupuis parut à partir de 1898 sur les divisionnaires de bronze, les pièces d'or de Chaplain l'année suivante. »

Ce sont les dessins totalement inédits des études pour cette monnaie de 10 centimes 1898 (dont le modèle sera finalement décliné dans les coupures de 10, 5, 2 et 1 centimes, les épreuves, piefort et prototype) que vous pouvez voir sur cette page.

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire du revers de la pièce de 10 centimes Indochine, N°B-40. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Cela étant dit, Jean-Baptiste Daniel-Dupuis, n’a pas gravé que des monnaies françaises et vous pouvez admirer ici deux des études et l’épreuve en étain de la monnaie de 1 cent qu’il créa pour l’Indochine en 1895.

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire de la pièce de 10 centimes 1896, N°B-15. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Une fin tragique

Daniel Dupuis. Dessin préparatoire de la pièce de 10 centimes 1896, N°A-02. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Que dire d’autre de cet artiste magistral au cœur aussi grand que le talent ? Qu’il fut Chevalier de la Légion d’honneur, officier d’académie en 1881, et qu’il fut nommé officier de la Légion d’honneur à la suite de l’exposition universelle de Bruxelles ? On a presque envie de dire : « Quoi de plus normal ? Il a remporté des paris autrement plus ardus ! ».

Moins normale fut sa mort tragique que, sans doute par pudeur, la plupart des biographes, F. Mazerolles en tête, préfèrent passer sous silence.

Ce n’était un secret pour personne, l’épouse l’artiste souffrait de graves troubles psychologiques. Le 13 novembre 1899, sous l’emprise d’une pulsion incontrôlable, elle assassina Jean-Baptiste Daniel-Dupuis avant de se suicider…

De cet immense artiste, nous garderons des œuvres inestimables et le souvenir d’un homme travailleur et généreux.

Détail étonnant, ou étrange coïncidence, la nuit du 13 novembre 1899, lorsque Jean-Baptiste Daniel-Dupuis quitta ce monde, un phénomène astronomique assez rare pour être signalé se produisit : une pluie d’étoiles tomba le ciel.

Daniel Dupuis. Essai de 10 centimes 1897 avec la tête a gauche. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

« De son vivant, il avait conçu l’idée généreuse de réunis dans le musée de Blois, sa ville natale, l’ensemble de ses œuvres. » Nous dit F. Mazerolles dans la gazette numismatique. « La municipalité avait mis à sa disposition plusieurs salles du célèbre château, et l’artiste y avait déjà déposé, avant sa mort, un certain nombre de ses médailles. M. Elisée Dupuis, son frère, n’a pas voulu laisser cette œuvre inachevée et très généreusement s’est dessaisi, en faveur de la ville de Blois de tout ce qui pouvait compléter et enrichir les collections déjà envoyées au musée par son frère, y compris les peintures, dessins et sculptures. La municipalité tint à honneur de rendre hommage au talent du maître et de reconnaître la libéralité d’un de ses enfants et le désintéressement de la famille du médailleur. Une inauguration solennelle eut lieu le 9 novembre 1902 à laquelle furent conviés le directeur des Beaux Arts, les hauts fonctionnaires de la ville et du département, les membres de la famille, les graveurs et amis de l’artiste. Les salles dans lesquelles avaient été exposées les œuvres du médailleur prirent le nom de Musée Daniel-Dupuis. »

Cette collection se trouve toujours à Blois et est exposée dans la salle des gardes du château. Si le hasard vous y mène un jour, peut-être aurez-vous envie de rendre hommage à ce grand graveur français.

Un immense merci à monsieur Dov Zerah, Directeur de la Monnaie de Paris, et à messieurs Darnis et Indrigo, sans l’aimable collaboration desquels ce dossier n’aurait jamais pu être réalisé.

Cristina Rodriguez

Article précédemment publié dans Numismatique et Change N°372 Juin 2006

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